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un cadeau de Noël de Christian Bobin

created Dec 15th 2014, 14:46 by


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La simple vie de chaque jour nous donne toute sa lumière puis s'en va, comme une invisible fiancée portant à son doigt une bague d'air, incrustée de silences scintillants.
 
Peu de livres ont des phrases aussi subtiles que celles écrites par la lumière du ciel sur un mur. La lecture la plus étonnante que j'aie jamais faite eut lieu par un après-midi d'automne. Le soleil projetait sur le mur de la chambre le rectangle de la fenêtre, découpant un écran sur lequel tremblaient les ombres du feuillage d'un bouleau. Sur la table, une bougie se consumait, allumée plus par goût de sa chanson silencieuse que par besoin de sa clarté. Prise dans le rayon du soleil, elle ajoutait son ombre sur le mur à toutes les autres. Il me fallut un long temps avant de voir que sa flamme, elle, ne projetait absolument aucune ombre : le corps blanchâtre de la bougie était bien reflété sur le mur - mais pas sa petite flamme dorée. Désertant la scène du monde et de ses ombres chinoises, se laissant traverser par une lumière sans l'arrêter, elle était, de son vivant, au paradis. Elle vivait l'éblouissante vie des morts à côté de laquelle la nôtre est grise et sans tenue.
...
Plus céleste que les petits soldats d'or peints par les moines, mieux armé pour défendre l'invisible, était le givre qui, deux jours durant, a transfiguré les arbres du parc de la Verrerie. Avec la minutie d'une dentellière, il entrecroisait le vide et le plein, faisait s'ouvrir des fleurs de rien au coeur de l'air,  saupoudrant de blanc les pointes des feuilles de houx sans toucher à leur vert, passant un doigt de lumière sur la blancheur cassante - comme sur le bord d'un verre de cristal. Tout vibrait de pureté. Tout chantait en silence. Les icônes de givre ont été visibles deux jours. Au matin du troisième jour elles commencèrent à fondre, découvrant dans leur effacement leur plus grande gloire.  
Mon plus beau cadeau de Noël ce serait qu'on m'amène devant un saule pleureur couvert de givre et qu'on me dise : " Voilà, c'est pour toi. " Ensuite je repartirais les mains vides, ébloui.
 
Un poète rencontre toujours un poète plus grand qui lui arrache le coeur d'admiration. J'ai rencontré le givre.
 
 
 

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